Y'en a de ces villages pourris
Qu'on traverse avec le bus de tournée
Ou on aimerait pas y être né
Pas y être élevé
Pas y passer sa vie
Et jamais y'habiter
Encore moins y être enterré.
Sur la p'tite place y'a un bar
Avec une enseigne en peinture écaillée, presque effacée, "au bistrot des amis "
Y'a une vitre avec des autocollants déchirés et le verre est tellement sale que même le soleil ne veut plus s'y réfléchir.
Je les vois tous les quatre : le barman, son gros bide et deux vieux avec des moustaches
Ils se racontent des trucs sur leur guerre, leurs femmes, les arabes et sur le résultat du tiercé
Paraît qu'c'est Marcharif qui est arrivé premier dans la sixième
Paraît que les gradins ont brûlés.
Le feu est rouge
Je vibre, je me pose avec les mouches sur les bouteilles de whisky pleines de poussière.
Dans la poubelle, je gratte les épluchures de pomme de terre et j'entends loin loin dans le vieil autoradio une mélodie trop familière : cette année là de Claude François
Dans la cour, les troncs d'arbre font comme des corps décharnés, y'a un peu de soleil qui perce c'est jolie, ça dessine des taches blanches sur le goudron éclaté, j'ai envie d'une madeleine et l'odeur de serviettes mouillés, une odeur de brûlé, persistante.
Le feu est encore rouge.
Y'en a de ces villages pourris
Qu'on traverse avec le bus de tournée
Ou on aimerait pas y être né
Le ciel est gris, il m'attire.
Plus loin y'a ces maisons, trop troglodytes.
Les gens qu' y habitent dedans n'ont même pas d'téléphone, même pas d'sanitaire, ils vont dans des chiottes en pierre.
Ils doivent écrire sur les murs, des scènes de chasse avec du sang comme à l'époque.
Une fois y'a les gens du voyage qui sont venus et on les a installés derrière les hangars ou on a entreposé des pneus de tracteurs et on les a brûlés.
Le feu est toujours rouge.
Un jour, je sais, mais je sais pas pourquoi, un jour y'a eu une fille, une rousse, jolie, Madeleine, comme la station de métro dans la chanson d'Proust.
Elle aimait bien les robes à fleurs Madeleine mais elle a disparu et comme les gens ne s'en souviennent plus, ils l'ont oubliée mais moi, j'ai creusé la terre jusqu'à retrouver son corps dans un sac poubelle. Sa robe était à fleur, ses cheveux n'avaient pas perdu leur couleur car je l'ai serré contre moi et j'ai vu, il y avait des flammes sur sa tête.
Le feu est toujours rouge.
C'est pour cette nuit je crois, la fête de la musique, les gens de mon voyage déchirent leurs tuniques, renaissant de leurs cendres ils sifflent dans leurs flûtes, au cimetiére , les morts contre les visions, luttent.
Madeleine est au bal, enlaçant des zombis, ses yeux sont à mes pieds comme deux fruits confits, les arbres s'en amusent, les deux vieux du bar fument, je m'épuise, je m'use, mes forces se consument.
Ahhhhhhhh, le feu est tellement, tellement rouge.
L'église est vieille, on dirait une sorcière, les gargouilles n'ont plus de tête, sur le clocher y'a une grosse, grosse horloge, si ronde qu'on dirait un réveil. J'en ai un aussi chez moi, j'ai un lit.
Au bout de la route ou je retrouvais ma couette et les murs de ma chambre, je me sentirais mieux, parce que mon réveil à moi, il est vieux, il est tout moche mais il tourne pas dans le sens inverse des aiguilles d'une montre.
Alors j'attend, j'attend patiemment que le feu passe au vert.
Y'en a de ces villages pourris
Qu'on traverse avec le bus de tournée
C'est pas là qu'il fallait tourner.