Choses pensées


Les choses pensées sont des idées plus ou moins folles sur des sujets plus ou moins sages.


Un nouvel humanisme ?
Le rêve de nos parents
Tentative d'inspiration
Mon point de vue sur les choses
Ecrits à la main



Par Franck


Un nouvel humanisme ?


Peut-on penser en toute honnêteté que la lutte contre la misère n’est que le combat des pauvres ?
Peut-on croire que la douleur est le combat des malades, l’écologie le combat des baleines bleues et la justice le combat des condamnés à mort ?

Si ce qui précède vous titille au niveau du dégoût, je vous propose une question qui me floue en ces temps troublés :
Pourquoi le féminisme reste t-il éternellement le combat des femmes ?

Selon mes souvenirs, elles sont plus de la moitié de l’Humanité.
Selon mes informations elles en sont les premières victimes.
Y’a comme qui dirait une sale couille dans le potage paradoxal qui pue la mort.

Reprenons aux clichés :
Pour le commun des cerveaux, UNE féministe, c’est une nana imbaisable parce que poilue des dessous de bras, chiante avec le ménage, pas fana de l’éjac faciale et autres levrettes dans le bac à vaisselle. Le genre de filles qui mate les culs des garçons dans la rue et qui fait peur au terrible macho qui sommeille dans le subconscient de nos slips.

Pour le commun des cerveaux, UN féministe, c’est soit un homo, soit un hétéro malin qui se dit qu’à comprendre les gonzesses, on finit par toutes les tirer.
Point final.

Entre temps, sur un air vieux comme le monde, continue la valse des tournantes, des voiles, des putes, des Marie Trintignant, des viols. Les couples dansent aux choeurs des culs d’Aubade, ou d’Alizée, aux rythmes des salaires inférieurs, des ambitions dévalorisées, des excellences impossibles ; les femmes sont faites pour la cuisine mais les plus grand chefs du guide Michelin ont tous du poil aux couilles. On se berce de la même chanson préhistorique sur l’instinct maternel et la carrière impossible et encore un tour, et toujours plus d’intruments, de discours naturalistes, et de sombres Requiem ; il parait qu’en Afrique, le SIDA est hyper féministe...
Les boules me remontent dans la glotte.

Et si être féministe c’était juste ne plus accepter d’être séparés de force par la violence des idées reçues ?
Pour ceux qui cherchent des réponses :
MASCULIN/FEMININ 1 et 2.
Par Françoise Héritier.
Editions Odile Jacob


Issy les Moulinaux, 02-11-03, Par Franck


Le rêve de nos parents


Avant même que le jour nous voie, une part de nous prend pied dans le monde, sous la forme d’un songe, d’une pensée diffuse, d’une anticipation.
Nous ne sommes alors rien d’autre qu’un paquet d’images mentales plus ou moins nettes, un désir plus ou moins fort exprimé par les bouches et les coeurs de tous ceux qui nous créerons pour la réalité.
Notre famille nous invente bien avant notre vie, et lorsque celle-ci nous dépose tout chaud à la maternité, nous imprimons immédiatement un fantasme sur les deux faces d’une seule médaille.
A peine conscients, nous nous cherchons un sens, une direction, dans une raison d’être unique au monde. Nous accumulons des heures et des heures d’indépendance, de choix, de contraintes, d’expériences et de rencontres. Notre personnalité incruste alors des années de sensations à la surface d’un miroir déformant.
Peu à peu, nous devenons nous même, des êtres à part entière, des désirs particuliers, des exceptions dans la règle. Nous volons comme dit le proverbe, de nos très propres ailes.
Mais sans le vouloir peut-être, nous emmenons un songe par la main, jusque dans nos plus belles nuits d’été. Et quand vient le temps, parfois, d’une faille, d’ un doute, d’une absence ou d’un espoir déçu, nous mouchons nos nez dans du papier, nos existences se retournent sous le drap, nous regardent dans les yeux, et nous reposent une question non résolue :
Sommes nous réellement autre chose que le rêve de nos parents ?


Issy les Moulinaux, 06-11-03, Par Franck


Tentative d'inspiration


L’inspiration est une notion délicate à penser.

Elle se nourrit d’une longue tradition de fantasmes cérébraux, de mystique. On l’imagine souvent drapée d’une aura transcendentale, comme un rayon de pur esprit supérieur. L’inspiration viendrait d’on se sait quelle limbe, d’on ne sait quelle étoile polaire, elle découlerait d’une force obscure ou lumineuse, échappant à la raison, à la logique, aux mathématiques et à la chair infiniment périssable.

C’est en tout cas, un peu l’avis de mon dictionnaire :

1. Phase de la respiration au cour de laquelle l’air entre dans les poumons.
2. Action d’inspirer quelque chose à quelqu’un.
3. Idée venant soudain à l’esprit.
4. Impulsion créatrice.
5. Etat d’illumination sous l’empire duquel il serait possible de recevoir les révélations de puissances surnaturelles.
6. Influence littéraire, artistique.
L’ordre croissant est intéressant :

1. Le corps.
2. L’autre.
3. L’esprit.
4. L’esprit/Dieu
5. Dieu.
6. L’art.
De la terre au Ciel, puis du Ciel au symbole, se dévoile un chemin pour l’inpiration. Un aller et retour. Une double direction.

Si vous le permettez, j’ajouterais bien un numéro à la liste :

7. Un point.
Un point me paraît juste, parce que, au numéro 9 de sa définition il est dit :

9. Lieu sans étendue, défini conventionnellement comme la plus petite portion d’espace qu’il soit possible de concevoir.
C’est la définition dite “géométrique” du point, qu’on comprend aussi comme le croisement entre deux droites. J’imagine facilement l’inspiration jaillir à ce croisement infini, comme l’étincelle entre deux frottements de silex. Dans ma vision subjective des choses, je nomme aussi ces droites, en suivant un peu le sens du dictionnaire :

Droite 1 : L’introspection.
Droite 2. La contemplation.
A mes yeux, ces termes illustrent parfaitement ce double mouvement vertical, entre la réalité charnelle, organique, et les projections “astrales” de l’esprit. En effet, voici ce que le dico dit :

Introspection :
Etude, observation de la conscience par elle-même.
Contemplation :
1. Profonde application de l’esprit à un objet intellectuel.
2. Connaissance mystique de Dieu acquise par la connaissance et l’ascèse.


Dehors et dedans, à ce point où deux pensées s’enlacent, un point abstrait se forme, une source, une zone d’inspiration.

J’arrive peu à peu au bas d’une page qui fut vierge. Ai-je été inspiré ? Ou à côté de la plaque ? En tout cas, le temps passé à écrire ces mots fut un bonbon à la menthe forte, j’y pris un plaisir sans mesure, bien que peut être un poil égoïste. Avant l’aspirine, sachez cependant que rien de cela n’est sérieux, mais de la plus haute importance.

Cognac, Perpignan, Issy les Moulineaux, 21-11-03, 04-01-04 Par Franck


Mon point de vue sur les choses


Pour éclaircir mon point de vue sur les choses, je devrais commencer par leur donner de l’essence, ou de la matière, une peau, un contour, un moule en argile.
Première chose qui me vient à l’esprit : Les choses sont ce qu’elles sont.
Malgré l’apparente lapalissade de cette formule, ce n’est pas si évident que cela.
Disons d’une chose qu’elle est, ce qui est déjà quelque chose, ou d’une chose qu’elle n’est pas, ce qui en est une autre. On en arrive à penser que les choses sont, qu’elles soient ou qu’elles ne soient pas, claires ou obscures, douces ou rugueuses, sucrées ou amères, ici ou là, mortes ou vivantes etc.
L’existence des choses nous échappe donc un peu. D’ailleurs, je crois qu’il ne faut pas forcément chercher à comprendre les choses, car ceux qui le tentent s’y perdent le plus souvent, ou s’ils s’y retrouvent, c’est par erreur de jugement, ou cécité mentale. Ils finissent par croire que la vie est explicable, ce qui est, vous vous en rendez compte, la plus absurde des explications.
Les choses évoluent en dehors du sens commun, sur un plan parallèle, que l’on pourrait peut être qualifier de mystique, si ce terme n’incluait pas une présence divine, ou une force centrifuge.
Dieu est-il une chose ? Evidemment, mais réduire les choses à Dieu serait bien peu de chose.
Nous ne devons pas non plus confondre les choses avec les objets courants, car si les seconds font partie des premières, la réciproque n’est pas obligatoire. Pour être plus clair, disons que tous les objets sont des choses mais que toutes les choses ne sont pas des objets.
Les choses peuvent être sans subsance, les objets non.
Alors, pourquoi essayer de cerner la réalité des choses ?
Parce qu’elles existent.
La preuve en est qu’on les nomme, même sans les connaître. Si le langage certifie leur présence, c’est qu’elles doivent tenir une place, quelque part, dans le monde plus ou moins tangible sur lequel nous évoluons.
Les choses ne s’expliquent pas, mais en expliquent d’autres, ce qui ne cesse de me troubler.
Pour donner mon point de vue sur les choses, j’affirmerai ceci : les choses sont sur une ligne, à la frontière de ce que l’on reçoit et de ce que l’on produit.
Ce que l’on reçoit, ce sont les impressions du monde via les canaux sensitifs.
Ce que l’on produit, ce sont les pensées du monde, via nos neurones inexpliqués.
Les choses elles, se lovent comme des châtons entre les deux courants, ce qui les rend si difficiles d’accès, puisqu’elles ne sont ni complètement senties, ni complètement créées, mais bien les deux à la fois.
De fil en aiguilles, si je suis ce tricot, j’en arrive à la conclusion suivantes : les choses sont Tout.
Pourquoi ?
Parce que la pensée n’est rien sans le monde et inversement. Une pensée qui ne pense pas l’univers ne peut exister. Un univers qui n’est pas pensé ne peut être envisagé comme réel.
Conclusion : il n’y que des choses, des choses et encore des choses.
Si bien que lorsque j’entreprends ce petit bout de prose, je ne donne pas mon point de vue sur les choses, mais le contraire, je donne aux choses mon point de vue.

Comme souvent, ne cherchez pas à décortiquer ce crabe, mais mangez le tout cru pour en sucer le jus..


Issy les Moulineaux, 16-11-04, Par Franck


Ecrits à la main


Dans le train, dans le matin, dans mes habits et une habitude aussi. Dans ma main, encore un poil ensommeillée, se tient un ustensile étrange, presque d’une autre époque, d’un âge qu’on ne dirait pas de pierre, ni d’or, mais plutôt de bille. En remplissant mon sac, je me suis résigné à laisser le portable à la maison, question de poids surtout, d’encombrement, et , pour ne pas m’en aller tout à fait vide, j’ai extirpé de sa cachette mon vieux - et encore si joli, si glacé - cahier Buffy. Alors mes doigts, habitués aux touches du clavier comme à leurs ongles, redécouvrent un plaisir, presque une souffrance cependant, un acte oublié, en voie de disparition :

écrire à la main.

Je me souviens (étant encore en vie ma mémoire me remplit) de ces années qui me semblent déjà lointaines, où je noircissais des pages et des pages, entre mes cours de comédie, à la table des cafés parisiens, collant déjà à mon fantasme d’écrivain maudit, les yeux souvent égarés dans des clichés de pavés, de manteaux gris, de passantes et de crachin joli.
J’en porte encore les stigmates, au majeur gauche, dans une bosse de chair pétrifiée, loin loin au dessus d’une bague argentée.
En reprenant le stylo ce matin, je m’aperçois d’une tension, une raideur des phalanges qui se transforme presque en crampe : la preuve que je me suis éloigné d’un temps, d’une habitude qui me paraissait pourtant indéfectible, voire éternelle, quand je recopiais des centaines de pages au propre, et que je sculptais dans la matière, dans le gras du papier, des brouillons de mots, de phrases et d’idées plus ou moins absurdes ou égocentriques, et souvent approximatives.
Des kilomètres à pieds de pattes de mouches.

Comment dire ? Les choses ont changé ? Dois-je en être nostalgique ? Qu’y ai-je perdu ? Qu’en ai-je gagné ? Qu’en est-il mort ? Qu’en est-il né ?

L’ordinateur a remplacé la machine qui succédait à la bille qui héritait de la plume qui prolongeait l’ère du burin... L’écriture est-elle comprise, enclose, en son outil ?
Savoir que Proust (qui me déborde absolument en ce moment) a composé son oeuvre à la main, énormissime, un fleuve et un océan d’encre, alors qu’il n’avait même pas la fonction “couper-coller”, ni le correcteur d’orthographe, je dois l’avouer, ça me plie les genoux...
Et Homère apparemment, à la bouche, à la force de la langue.
Je pense parfois que tout s’effiloche, comme le brin de laine d’un pull irlandais coincé dans une roue. C’est à penser (plutôt qu’à dire) que nous perdons en âme ce nous gagnons en technologie. Je sais, quelque part, que cette idée est un leurre, mais je considère la mémoire, la trace laissée dans la terre, la peinture sur le mur de la grotte.
Une fois rongé par les vers, j’aimerais que les gosses que je n’ai pas encore conçu, ou leur descendance, tombent sur une page écrite au stylo, pas sur un document word dans un dossier “Papie mort” sur un Pc Pentium 900.
C’est aussi pour cela, que ce matin (et d’autres je l’espère), j’ai délaissé mon portable, pour me forcer à raturer, à laisser filer, à ne rien effacer, et à inscrire quelque part le rythme de ma tête, le flux de ma pensée qui, je le répète, est vouée à ne plus rien produire que du vide.


et puis plus tard, il me suffit de sauter une ligne pour décaler des heures, me jouer du temps encore, comme avec de la pâte à beignets. Ecrire à la main, ce n’est pas seulement revenir aux sources, ce n’est pas qu’une nostalgie, c’est aussi cette sensation particulière, comme une danse, une chorégraphie improvisée des doigts sur le papier, ou alors, un surf sur une vague, une perle sur un tambour, la queue d’une comète... les mots que je trace n’ont pas de passé, pas de racine, ils sont un jet immédiat, mais discontinu, d’un sens qui s’échappe à la manière, et avec la douceur de l’air dans la bouche ; si bien qu’avec un peu de distance, de recul, je pourrais presque contempler la lambada du stylo, et écouter ce petit bruit, si doux, de la bille qui roule sa bosse, sans m’y sentir impliqué, comme à l’extérieur d’une maison où je dormirais. Je mentirais en affirmant que cette sensation d’absentéisme n’existe pas lorsque je tapote le clavier, elle est peut être même démultipliée à sa façon, plus percussive et caressante, mais moins abrupte, car il lui manque le frottement, la couleur, et comment dire, une certaine forme d’absolu.

Ce que la page, cette page, recouvre et accueille, est plus précisément ce moi qui me tourne autour comme une abeille près d’un steak. Le miroir, ou le témoin d’un autre, d’une présence que je cherche à saisir, et qui m’echappe sans arrêt, à la manière de l’eau entre les doigts, ou du sable, ou du vent... j’en aperçois une trace alors, dans ma façon particulière de former et de lier les lettres de mon alphabet.

sur mon bureau, près de la transparence d’une vitre d’où se découpe à l’infini le même tableau de toits d’immeubles, de balcon et de ciel, je finis à la main ce que j’y ai commencé, un petit tour de calèche. L’ironie est que je m’apprête, afin de les transmettre à ceux qui tomberont dessus, plus ou moins volontairement, à transposer ces pages sur l’écran, c’est à dire à les dépouiller de leur signification, pour mieux en temoigner, peut être... ou juste me rassurer. l’ère du stylo s’est achevée ; on y a perdu des plumes sans doute; et gagné quelques bleus à l’âme, mais on ne peut empêcher le temps de nous tirer les vers du nez.

Avant de clore cette page en papier, et d’en ouvrir une virtuelle, je note ici (à la main), une petite phrase du grand Marcel tirée de sa “Fugitive” :

“... car chaque personne, même la plus humble, a sous sa dépendance ces petits êtres familiers, à la fois vivants et couchés dans une espèce d’engourdissement sur le papier, les caractères de son écriture que lui seul possède.”


Train- Sallanches-Train- Issy les Moulineaux, du 10-12-04 au 12-12-04, Par Franck