C’est le genre de livre dont on ne sait plus qui nous a dit qu’il était mortel ; le bouquin qu’on regarde chaque fois avec curiosité au rayon science fiction de la librairies, mais qu’on n’achète jamais tout de suite sans trop savoir pourquoi. Ca te travaille, ça t’a une gueule de mystère de l’espace, un trip étoilé qui titille au niveau des neurones cosmiques.
Le volume qui me drague est édité par OMNIBUS, une collection qui édite entre autres les intégrales d’Asimov et de Philip K.Dick. Les bouquins sont tout noirs, luisants, puissants et lourds dans la main.
Tout en haut, en ENORME et en blanc, un nom magistral : VAN VOGT.
C’est vrai que ça impressionne, il n’y pas de prénom (ce qui suppose un talent universellement reconnu) et quand même une vague homonymie avec un des plus grands génie de la peinture.
Juste en dessous, légèrement décentré sur la droite, le titre de l’intégrale :
LES PORTES DE L’ETERNITE.
Ca enfonce pas mal le clou du respect, on se dit quand même l’éternité c’est quelque chose d’assez grand, le mec, il a du en faire des années lumière dans sa tête pour trouver une porte à ce bordel.
On passe ensuite à l’illustration : Un dessin très coloré, légèrement seventies.
Au fond se dresse une ville tentaculaire type Métropolis, avec des grattes ciels multicolores, pointus, phalliques, tubulaires et sphériques.
Depuis le fin fond d’une perspective éblouissante, un ruisseau bordé de rails s’avance vers notre œil captivé. Sur les rails courent des rangées d’êtres dorés fort humanoïdes, mais bardés de circuits imprimés rouges. Leur vitesse hallucinante est suggérée par l’étalement du trait dans l’espace.
En bas, et en caractères blancs, deux colonnes présentent les cycles.
Colonne de gauche : LE CYCLE DU NON A
Le monde du non-A
Les joueurs du non-A
La fin du non-A.
Colonne de droite : LE CYCLE DES MARCHANDS D’ARMES
Les armureries d’Isher
Les fabricants d’armes.
Avouez quand même que ça excite un peu la matière grise.
Alors info ou intox ?
Génie démentiel ou démesure abusive à tendance débordatoire ?
Je n’en dirai pas plus. Je préfère laisser cette porte de l’éternité ouverte à ceux qui souhaitent la franchir.
Mais juste histoire de balancer encore un peu d’eau à la bouche, sachez que les deux premiers tomes sont traduits par Boris Vian, et que le quatrième de couverture finit ainsi :
« Gosseyn,Hedrock : des hommes qui, chacun à sa manière ont franchi LES PORTES DE L’ETERNITE. Et qui ne sont pas devenu des dieux pour autant. Leur destin, comme le nôtre, inclut de vastes zones d’ombre et de souffrance. Ils n’ont pas le choix : pris au piège, ils sont condamnés à agir.
Au firmament de la science-fiction, le nom d’Alfred Elton van Vogt, créateur de ces personnages surdimensionnés, brille d’un éclat particulièrement vif. Né en 1912, mort le 26 janvier 2000, maître de l’âge d’or du genre, il a survécu aux mode et a toutes les chances de survivre au générations
A vous de voir…
Grenoble, 28-10-03, Par Franck
Lettres à un jeune poete
L’auteur de ce chef d’oeuvre éternel ; cet immense classique immortel est Rainer Maria Rilke, un poète en porcelaine d’eau pure.
Ce livre est à la fois un guide, une chanson, une fleur, un miroir, une réflexion et un secours.
Ce qu’il fait aimer, ce sont des mots lumineux qui n’étaient pas destinés au monde, mais à une seule âme perdue ; un officier en manque de muse.
A le lire pourtant, chacun se découvre un poète endormi. Les phrases semblent transparentes, comme directement adressées au coeur palpitant. On se sent devenir cet autre, cet océan, cette neige, ce moment d’euphorie creusée dans la seconde.
Vraiment, ce livre est de de ceux qui rendent à la beauté une tendresse mystique, qui font du bien les soirs de larmes et de mélancolie, qui rassurent, qui bercent, qui tirent les sanglots aux paupières. Ce livre est un livre inépuisable, qui grandit avec les années, qui se gonfle sans cesse de sens et de frissons.
“En une seule pensée créatrice revivent mille nuit d’amour oubliées qui en font la grandeur et le sublime. Ceux qui se joignent au cours des nuits, qui s’enlacent, dans une volupté berceuse, accomplissent une oeuvre grave. Ils amassent douceurs, gravité et puissance pour le chant de ce poète qui se lèvera et dira d’inexprimables bonheurs.”
Issy les Moulinaux, 03-11-03, Par Franck
Y'a basta
La plupart des gens ont entendu parler du Sous Commandant Marcos. Un homme derrière un passe montagne qui défend les indiens mexicains.
La plupart des gens n’ont jamais entendu écrire le Sous Commandant Marcos.
Plus de 900 pages multicolores chantées sur de noirs instants de l’Histoire.
Des millers de phrases et d’évènements sur de grands moments de l’Espoir.
Ces livres (puisqu’il y en a deux tomes), sont remplis de clés, de réalité, de poésie et de larmes. Ils rassemblent deux ans de communiqués de Marcos adressés aux peuples, aux journaux, aux gouvernement, aux associations, à des auteurs parfois, à des enfants.
Ils sont édités chez Dagorno et les bénéfices sont intégralement reversés à la lutte de l’EZLN.
Ces livres, contrairement à ce que l’on pourrait croire, ne caressent jamais la violence dans le sens du poil. Ils ne sont pas un cri de guerre, mais un témoignage de survie, et un appel à la résistance pacifique, civile et mondialisée des utopistes.
Je le conseille à toutes celles et tous ceux que les enjeux de notre avenir commun interpellent.
Le zapatisme n’est définitivement pas un dogme totalitaire, mais il offre un très beau point de départ à une réelle révolution spirituelle.
Deux citations pour conclure :
La première est de Naomi Klein (auteur de l’indispensable No Logo et du non moins nécessaire Journal d’une combattante).
“Cet homme masqué qui se fait appeler Marcos est le fils de King, de Che Guevara, de Malcolm X, d’Emiliano Zapata et de tous les autres héros qui, après nous avoir interpellés du haut de leur chaire, ont été abattus les uns après les autres, laissant des partisans aveugles et déboussolés, ayant perdu la tête. A leur place, le monde a maintenant un héros d’un nouveau genre, qui écoute plus qu’il ne parle, qui énonce des énigmes plutôt que des certitudes, un leader qui cache son visage,
qui affirme que son masque est en fait un miroir.
Et les zapatistes nous ont donné, non pas le rêve d’une révolution, mais une révolution qui rêve.
La deuxième est de Marcos lui même :
Un petit morceau de lune.../ Mais en vérité ce n’est pas un / mais deux petits morceaux : / le morceau de la face obscure de la lune / et le morceau de la face brillante de la lune. / Et ce qu’il faut ici comprendre / c’est que le petit morceau qui brille / brille parce qu’il y a une face obscure. / C’est la face obscure de la lune / qui rend possible la face brillante / de la lune. Comme pour nous / si c’est notre tour d’être la face obscure de la lune /
nous ne sommes pas moins pour autant, /c’est parce que nous somme prêts / à être la face obscure / que tout le monde peut voir la lune/ en fin de compte la face obscure vaut plus / parce qu’elle brille pour d’autres cieux/ et parce que, pour qu’on puisse la voir / il faut apprendre à voler très haut./ Et c’est ainsi que / peu nombreux sont ceux qui veulent bien souffrir / pour éviter à d’autres la douleur /
et mourir / pour que d’autres vivent et c’est ainsi / puisque les bottes et la lune et cetera et point.”
Issy les Moulineaux, 05-11-03, Par Franck
La trilogie de l'absence de destin
Cela commence à peser. Des jours gonflés de phrases stériles, raturées, saturées d’impressions confuses et contradictoires, des tentatives malheureuses et essoufflées, comme des chiens perdus, mon stylo tourne en rond dans un cercle de l’enfer vicieux, mon cerveau bave des bouts d’idées avortées, sans lumière et sans substance, sans raison d’être.
Ecrire s’est encore transformé en une tâche infiniment impossible, en un acte infiniment nécessaire.
J’ai lu, non, je n’ai pas lu, j’ai vécu, j’ai traversé, je me suis brûlé les yeux à la plume d’Imre Kertesz.
Je voudrais à mon tour témoigner de la présence de cette oeuvre inimaginable, de cette question décomposés à l’Histoire, de l’expérience vécue de la plus abominable des beautés, ce grand écart assourdissant entre Horreur et Sublime, quand la Shoah crâche une fleur sur la terre.
Alors je l’écris le plus fort possible, dans un paquet de frissons :
Cet homme est vivant. Ces livres sont vrais. Ces mots sont sanglants. Ce destin est le notre.
En 2002, Après tant d’années de silence, Imre Kertesz s’est vu décerné le prix nobel de Littérature.
A ne lire que si l’on est absolument résolu à devenir humain.
Livre 1. Etre sans destin. (extrait)
Il se tait à nouveau, cette fois plus longtemps, puis il reprend : “tu as du traverser beaucoup d’horreurs ?” et je lui réponds que cela dépend de ce qu’il entend par horreur. J’avais dû, dit-il alors avec une expression qui semblait assez gênée, beaucoup souffrir de privations, de la faim, et j’avais vraisemblablement été battu, sans doute, et je lui dis : “Naturellement”. “Pourquoi, mon garçon, s’est-il alors écrié, mais je voyais qu’il commençait à perdre patience, dis-tu à tout bout de champ “naturellement” à propos de choses qui ne le sont pas du tout ?” Je lui dis : “Dans un camp de concentration, c’est naturel.” “Oui, oui, fait-il, là-bas, oui, mais... et là, il s’interrompt, hésite un peu, mais... comment dire, le camp de concentration lui-même n’est pas naturel !” dit-il, semblant finalement trouver le mot juste, et je ne réponds rien, car je commence tout doucement à voir qu’il y a une ou deux choses dont on ne peut visiblement jamais discuter avec des étrangers, des ignorants, dans un certain sens des enfants, pour ainsi dire.
Livre 2. Le refus. (extrait)
A mon tour d’être embarassé : tout indiquait que si d’aventure, il trouvait mon roman amer, il ne lui plairait sans doute pas. Et cela constituerait à l’évidence un mauvais point qui n’en favoriserait pas la publication. C’est alors seulement que j’ai vu que j’étais en face d’un humaniste professionnel : or les humanistes professionnels voudraient croire qu’Auschwitz est arrivé uniquement à ceux auxquel il est arrivé précisément à cet endroit-là, en ce temps-là, mais que ceux auxquels il n’est pas arrivé précisément à cet endroit-là et en ce temps-là, c’est à dire la plupart des autres, les gens-l’Homme ! - et bien il ne leur est rien arrivé du tout. C’est à dire que l’éditeur aurait voulu lire dans mon roman que, malgré et justement malgré le fait que cela m’était arrivé à cet endroit-là en ce temps-là, Auschwitz ne m’avait pas sali. Sauf qu’il m’avait sali. Il est vrai d’une autre façon que ceux qui m’y avaient emmené, mais je suis moi aussi devenu sale : voilà qui est essentiel, à mon avis. Je dois cependant admettre, comment pourrais-je faire autrement, qu’il est à craindre que celui qui prend mon roman dans les mains avec de bonnes intentions et se met à le lire innocemment, risque d’être quelque peu mêlé à cette saleté.
Livre 3. Kaddish pour l’enfant qui ne naîtra pas. (extrait)
(...) j’ai vraisemblablement dû dire que cette phrase, à savoir “Auschwitz ne s’explique pas”, est fausse déjà au niveau structurel, puisque ce qui est a toujours une explication, même si cette explication est par nature purement arbitraire, erronée, quelconque, mais c’est un fait qu’un fait a au moins deux existences, l’une factuelle et l’autre, pour ainsi dire, spirituelle, un mode d’existence spirituel qui n’est autre qu’une explication, un amoncellement d’explications, et qui plus est, une surexplication des faits, ce qui revient en fin de compte à les annihiler, ou tout au moins à les brouiller ; cette malheureuse phrase - “Auschwitz ne s’explique pas”- est aussi une explication, elle sert au malheureux auteur à expliquer que nous devons passer Auschwitz sous silence, qu’Aushwitz n’est pas, ou plutôt n’a pas été, car n’est-ce pas, seules les choses qui ne sont pas ou n’ont pas été ne sont pas explicables. Cependant, j’ai sans doute dû dire qu’Auschwitz a été, et donc est, et qu’il y a donc une explication, et qu’il n’y a justement pas d’explication au fait qu’Auschwitz n’a pas été, c’est à dire qu’on ne pourrait pas expliquer qu’Auschwitz n’ait pas été, ne se soit pas produit, qu’un état du monde ne se soit pas réalisé dans le fait nommé “Auschwitz”.
Cognac-Vendôme-Paris-Magny le Hongre-Issy les Moulineaux, du 21-11-03 au 01-12-03, Par Franck
Clara et la pénombre
D’abord chez un ami, j’ai vu la couverture, bleue, très sensuelle.
J’ai murmuré le titre et soupesé le livre.
Plus tard, dans la foule du Salon du Livre, un petit homme me l’a vendu.
Ensuite c’est dans ma chambre. J’ai encore regardé la couverture, puis sous la mienne j’ai cherché la première page.
J’ai lu la citation de Rilke.
Enfin c’est tout de suite.
Il m’en reste des sensations, des couleurs essentiellement, le souvenir d’un coton tige, d’une femme Lampe, d’une douche verte, de cadavres raturés, d’un tunnel rempli de corps maquillés.
Il me reste l’envie de mieux connaître Rembrant.
Il m’en reste une histoire, Clara, l’Artiste et la Fondation Van Tysh.
Il m’en reste des idées, roses et noires, des métaphores et des miroirs .
Il me reste le point de départ, sur la première page.
La citation de Rilke.