Derrière le pare-brise d’une voiture blanche, j’aperçois un sommet enneigé, quelques vagues de rochers gris, des tapis d’arbres sous un classique ciel bleu d’hiver. Juste une montagne de plus, parmi tant d’autres souvenirs d’enfance, une nouvelle perle pour ma collection d’images mentales. En silence, pendant que la route s’avale sous les pneus, je pense à tous ceux qui depuis les débuts d’une pensée ont eu la chance de s’émouvoir à la vue cette bosse majestueuse.
J’imagine d’abord une famille, l’année dernière peut être ; ils descendent du train sous une pluie de vache pisseuse et découvrent cette partie du monde pour la première fois.
Je recule encore pour atteindre le chevalier Bidule, le vicomte de Truquechouette, la Marquise de Machin, tous coincés dans une époque révolue, dans une société morte, à cheval, en calèche, sur des routes pavées, enfin bref, ailleurs et loin, sous la présence de cette même masse de pierre calme, la pointe égarée dans une autre neige éternelle.
Je barre des années sur un calendrier, un coup d’encre sur des décennies, des siècles, et là encore, voilà des hommes et des femmes, préhistoriques, dans les clichés que j’en ai, en slips de peau de bête, près d’un feu de camp à faire rougir un chef scout. Ils arrachent la bidoche à pleine dents, sur l’os énorme d’un fémur sanguinolent, ils râlent, ils grognent, ils pètent sans dire pardon, et au dessus d’eux, tranquille encore, sereine comme une berceuse, toujours la même et inébranlable montagne.
Sans hésiter, j’imagine des cohortes de diplodocus, de tricératops, de ptérodactyles, tous plus débiles les uns que les autres. Ignorant leur mort prochaine ils envahissent le paysage, et évoluent sans conscience sur les pentes cotonneuses de cet énorme et indéboulonnable tas de paquets de matière brute.
Je la vois encore et encore, et encore un coup pour toujours et jamais semblable à elle même, et là, tout de suite, derrière une vitre. Le pare brise d’une voiture blanche. Un écran de cinéma transparent.
Juste une montagne ; des milliers de milliard de cerveaux s’en sont incrustées l’âme avant moi, mais je sens, je suis sûr, j’en mettrais ma langue à couper qu’elle n’existe nulle part ailleurs que dans cet espace réduit, dans ce rectangle de verre, à cet instant même.
Malgré son âge et le monde, malgré les foules d’yeux vivants, de cerveaux et de nerfs, malgré les milliers de voitures qui empruntent cette route, je suis tout seul sur cette montagne.
Je me pose juste une question de point de vue.
Grenoble, 28-10-03, Par Franck
Buffy the vampire slayer
Il y a quelques années, à peu près trois ou quatre, j’ai aperçu son visage dans le carré d’une pub télé star. C’était juste une pétasse de plus, une blondinette à la bouche USA et aux dents ultrabrights. Apparemment, elle jouait dans une de ces séries de merde qui pue pour ados acnéiques en manque de branlette. Une nana qui tue des vampires en carton pâte sans filer ses bas.
Fort de cette impression rapide, je ne manquais aucune occasion d’arborer mon mépris à l’égard de cette pauvre starlette préformatée.
Et puis un jour, ou peut être une nuit, près d’un lac je m’étais endormi, et un pote m’a dit : sans déconner, t’as jamais vu Buffy ?
Après quelques tentatives de sourires moqueurs et désabusés, j’ai fini par céder : Vas y, si ça te fait plaisir, prête moi les DVD, on va y jeter un coup d’oeil avec ma fiancée d’amour.”
Le soir même, bien au chaud dans notre canapé, nous enclanchâmes sans trop y croire le premier épisode de la deuxième saison. Ca commençait marrant, franchement sympa, rigolo quoi, pas trop mal foutu, bref distrayant.
On a enchaîné les épisodes sans trop de mal et puis à un moment quelque chose s’est brisé, il s’est passé ce truc imprévu, dans le bide, cette impression vraiment terrible, un frisson intégral de délire total, un retournement de sensations fortes.
Nous venions de rencontrer Joss Whedon.
Six saisons plus tard, dans les soirées intelligentes, nous sommes ravis de passer pour des cakes décérebrés : “Ah ouais sérieux ? vous regardez ce truc ?”
Parfois pourtant, dans la foule des néophytes, on fait une rencontre surprenante. Quelqu’un dont on croit qu’il va vous rire au nez et qui vous adresse un profond clin d’oeil complice : “Ca fait du bien de rencontrer un fan...”
Depuis dans ma vision simpliste de l’existence, le monde a tendance à se diviser en deux catégories : les gens qui adorent Buffy et les gens qui ne la connaissent pas vraiment.
Pour ceux d’entre vous qui souhaiteraient s’y mettre, un conseil essentiel :
FUYEZ LA VERSION FRANCAISE !
(elle est à vous dégoûter éternellement du plaisir)
Issy les Moulineaux, 04-11-03, Par Franck
Liste d'objets
Une bouteille d’eau. Cinquante centilitres. Le quart supérieur a été avalé.
Une cuillère en plastique. Transparente. Grise. Souillée de mousse à café.
Un journal plié en deux.
Un capuchon de stylo vide.
Un cahier.
Une fenêtre.
Une ferme sous la pluie.
Un arbre dans le brouillard.
Une petite centrale éléctrique.
Un champ de terre mouillée.
Un bosquet marron.
Un bosquet vert.
Quatre gros camions.
Une immense flaque d’eau.
Un carré lumineux éclaire deux figurines : Un dessin d’homme. Un dessin de femme.
L’éternelle signalétique des toilettes.
Perpignan. (dans le hall.)
Un cendrier transparent. Vide. Propre.
Trois prospectus colorés.
Un téléphone portable dont le voyant clignote.
Plus tard. (dans les loges)
Deux paquets de huit piles alcaline écrasées dans du plastique.
Trois micros noirs entremêlés.
Une serviette en papier rouge, à moitié chiffonnée.
Un miroir.
Un reflet.
Dans le reflet : un frigo, une trottinette, un saladier, un micro-ondes, un interrupteur, non, deux, non, trois, un pilier en beton, une banette en osier, une embrasure de porte.
Dans l’embrasure de porte du reflet : un coin de canapé bleu, le dos d’une guitare classique, un mur baigné de lumière pâle.
Plus tard. (au même endroit)
Approximativement le même tableau.
Les micros ont disparu de la table.
Un briquet jaune sur une page blanche.
Un gobelet de café froid.
Une boite à bijoux ornée d’une inscription en lettres dorées.
Un tupperware cylindrique à moitié vide de pierres de sucre.
Un rouleau de scotch, sale.
Un carré de papier amputé d’un bloc note.
Une autre petite bouteille d’eau pure.
Plus tard. (à l’hôtel)
Mon portefeuille déformé.
Une table en bois rose.
Une lampe hallogène rose.
Trois bonbons dans des emballages brillants. Vert. Jaune. Rouge.
Une clé.
Une boîte en metal sur laquelle l’illustration d’un pêcheur barbu fume.
Trois lits roses.
Quatre murs roses.
Deux portes roses.
Une télévision, et au dessus, un cadre accroché, et dans le cadre, une vraie fausse reproduction de papyrus égyptien.
Une corbeille rose.
Un sac poubelle rose.
03-12-03, Perpignan. (sur le quai)
Un gros sac de voyage bleu.
Une bande de béton fissuré.
Un énorme TGV Atlantique dont la porte est décorée d’un écusson “Nuit Saint George”.
Une plaque d’égoût mouillée.
Un banc de bois détrempé.
Une horloge ronde aux aiguilles jaunes.
Un morceau de fauteuil roulant vide.
Un panneau horaires.
Un distributeur de confiseries multicolores.
Des fils électriques suspendus entre des pylones.
Des rails luisant d’averse.
Un parapluie rouge.
Plus tard. (gare de Toulouse Matabiau)
Un présentoir en carton Pampryl.
Un cendrier transparent. Vide. Propre.
L’attirail d’un café : tasse, sous-tasse, cuillère, sucre.
Cinq pièces jaunes, trois de vingt centimes, deux de dix.
Mon portefeuille déformé.
Une note imprimée, avec inscrit en gras : 1.20.
04-12-03, Villeneuve sur Lot. (dans les loges)
Un paquet de cigarettes égorgé.
Un sucre solitaire.
Mon roman photocopié.
Une énorme papillotte en papier crépon jaune citron.
Une rangée de cintres.
Une chaise garnie de faux velours bordeaux.
Un lavabo sage.
Un gobelet de café calme.
Un grand miroir endormi.
Huit ampoules prétentieuses vissées dans une barre fixée au mur tendre.
05-12-03, Argentan. (dans les loges)
Un paquet de piles eventré.
Un pile de gobelets translucides.
Des touillettes.
Deux thermos aux motifs pop-art.
Des sucre emballés.
Une bouteille de jus d’orange.
Quatre piles LR6.
Une bouteille de jus de pamplemousse entamée.
Un portable en train d’être rechargé.
Une chemise à papiers bleue.
Deux pochettes de billets de train.
Un pack d’eau sur le frigo près d’un tapis usé sur lequel trône une table basse couverte d’un briquet et d’un stylo contre un jeu de cartes collée à un paquet de tracts intermittents.
Des morceaux de scotch noir déchirés.
Un cendrier souillé.
Une plante verte à fleurs pourpres.
Entre deux murs, un tube en métal où pendouillent une salopette rouge et un blouson jaune au dessus d’un canapé de cuir noir.
Cinq sacs de voyages.
Une housse de guitare.
Quatre vestes rouges sur des portes-manteaux scolaires.
Une ceinture à micro renfrognée.
Un imposant chauffe-eau.
Quatre chaises en bois dont une est occupée.
Deux chaussures pleines de pieds.
Un jean plein de jambes et de cul.
Un pull plein de torse et de bras.
Une paire de lunettes pleine de regards.
Une main pleine de stylo bille.
Une page de cahier Buffy pleine d’objets.
TGV Paris-Montepellier, 02-12-03, Par Franck
Kill Bill vol 1
Kill Bil vol 1 ratatine tes rétines, ratatouille tes tripes, décalque tes zigomatiques, centrifuge tes images, tyrannise tes tempos, calcine tes tympans en castagnettes, pressure tes couilles en étau, essore tes ovaires à l’acide sulfurique, craque ta gorge, sabre ta tête, gicle, gicle, et gicle encore ton hémoglobine mentale, t’aspire les neurones en chair à saucisse euphorique.
Kill Bill vol 1, c’est bon pour ta peau ! Kill Bill vol 1 est la solution idéale pour tes furoncles, tes cernes, tes varices et tes engelures craquelées ! Avec Kill Bill vol 1, fini la bouche pâteuse, le teint blafard et la peau pendante. Kill Bill vol 1 lifte tous tes petits bobos et tes grandes blessures : croûtes récalcitrantes, selles malodorantes, vague à l’âme, mythomanie, dépression nerveuse et tocs. Kill Bill vol 1 t’est particulièrement conseillé en cas de grossesse nerveuse.
Mais Kill Bill vol 1 ne s’arrête pas la là ! Kill Bill vol 1 va encore plus loin :
Kill Bill vol 1 sort gratuitement ton pitt-bull (et ramasse ses déjections dans un sac papier recyclable). Kill Bill vol 1 fait tes courses, ton ménage, le tri de tes factures et tes déclarations fiscales !
Avec Kill Bill vol 1 fini la galère ! Une rente de 1500000000000 euros t’est versé mensuellement, tu disposes également de 112 caisses de luxes, de 69 chauffards attitrés, de 1254789 chateaux en Espagne, ainsi qu’un cadeau surprise : un coupe oignons anti larmes.
Tu croyais en avoir fini ? Que nenni manant ! Car le chevalier Kill Bill vol 1 encule encore le clou :
Kill Bill vol 1 t’offre l’immortalité toute ta vie pour toujours par contrat notarié ! Tu pourras également voyager dans le temps, présider les Etats-Unis, rétablir la paix dans le monde, éradiquer le Sida, le Cancer et les morpions, commander aux martiens et tauler Bill Gates à Puissance 4...
Perpignan / Argentan., 03-12-03 et 05-12-03., Par Franck
Kill Bill vol 2
Un bon critique est un critique objectif.
Un bon critique ne peut laisser ses sentiments déborder sa rigueur flegmatique de professionnalisme.
Un bon critique se doit de raison garder, ainsi que tête froide sous les épaules porter.
Un bon critique est un critique certifié, authentifié par le Très Haut Comité Des Critiques Authentifiés. Il est cueilli à la naissance, muri en fût de chêne et embouteillé dans du cristal en verre super beau.
M’attelant à cette lourde tâche, assumant cette responsabilité écrasante, moi, Franck Zerbib 5487569856ème du nom, déclare aujourd’hui ce jour, 21 mai 2004, à, cette heure précise et pas une autre, sur l’honneur de ce que j’ai de plus cher (la vie de mon Fucca), que je garderai la tête aussi haute que ma dragée face aux sensations fantasques et exacerbées qui troubleraient mon jugement impartial de Justice au moment d’accomplir ma tâche, à savoir critiquer sans concession la sublime et incroyablement explosatoire oeuvre du Septième Art que je vais critiquer.
Kill Bill volume 2 est un film.